A 92 ans et après avoir arpenté des terrains d’opérations militaires, Roger Strebilcki est toujours debout sur un autre front : le combat pour la Paix. Le Strasbourgeois de naissance et de Libération est sans doute l’un des doyens du Mouvement de la Paix auquel il a adhéré en 1953…portrait d’une colombe.
Joseph Staline meurt. Les époux Rosenberg sont électrocutés. Fidel Castro et ses hommes attaquent la Moncada à Cuba. Les paras français s’installent à Dien Bien-Phu. L’URSS fait exploser sa première bombe H. Dominique de Villepin voit le jour, et la CGT lance une grève générale des fonctionnaires. Cette année 1953 résume parfaitement la vie, longue et dense, de Roger Strelbicki responsable du Comité du Bas-Rhin du Mouvement de la Paix. Cette année là, Roger rejoint sa mère et sa tante, malades, à Strasbourg. Il dépose son calot, ses épaulettes et déploie ses ailes. Il adhère même au Mouvement de la Paix. Il devient colombe…
Roger ne veut pas que l’on évoque ses faits d’armes. « Je veux qu’on ne retienne que mon combat pour la Paix », dit-il, fort de ses 92 années. Mais on ne peut pas faire l’impasse sur ces quelques jours où, à 17 ans, il a traversé la France et l’Espagne et pris un bateau pour rejoindre le Maroc. Engagé volontaire dans l’armée française libre, il est de la création du 12e régiment des chasseurs d’Afrique. Il débarque démineur en Italie, « Nous étions des kamikazes avec un équipement sommaire et les bombes au bout des mains », avant de terminer la guerre dans un char en Allemagne. « Sous-officier d’un calme et d’un courage exemplaires », est-il écrit sur son livret militaire. Il n’en dira pas plus Roger mais « c’est déjà beaucoup car peu de gens le savent ». « J’ai gommé la guerre en rentrant. Je n’ai jamais rien dit et j’ai vécu ma guerre normalement. Vous savez, je ne suis pas ceux qui se vantent de leurs actes de Résistance. J’ai fait ce que j’avais à faire pour la France et la Liberté. C’est tout ». « C’est tout… », la sentence tombe, de celle qui vous renvoie à cette éternelle question : « Aurais-je eu ce courage ? ».
« Après l’armée j’ai du m’occuper de ma maman et de ma tante qui étaient malades, alors je les ai rejointes à Strasbourg, évoque l’ancien adjudant. Comme moi-même j’avais eu la typhoïde et la leucémie, en tant que blessé de guerre, j’avais le droit à des emplois réservés. Alors je suis entré à la sécurité sociale où je suis resté durant 30 ans ». On imagine alors aisément que Roger Strelbicki a vécu sa petite vie de fonctionnaire tranquille après tout ce qu’il a vu. Mais Roger ne supporte pas l’injustice alors il s’engage dans le combat syndical. « J’ignorais que dans la fonction publique on puisse être aussi soumis, et accepter tant d’inacceptable dans les conditions de travail ». Une nouvelle guerre, plus pacifique certes mais qui lui vaudra « d’être toujours mal noté par [ma] hiérarchie ».
Resté célibataire, Roger Strelbicki a offert son temps à la construction de la Paix : sociale avec le Secours Populaire, politique avec le Mouvement de la Paix, et en entreprise avec ses fonctions à la CGT. « Lorsque j’étais militaire je ne pouvais pas avoir de femme. Je ne voulais pas choisir de faire une veuve et des orphelins », lâche t-il avec la voix d’une colombe qui a traversé des ciels d’orages. « Tout le monde est pour la Paix, tout le monde a des sentiments et des idées de paix mais les politiques s’en foutent. Le Mouvement de la Paix est là pour organiser et coordonner des actions permettant d’imposer la paix. » Fatigué Roger ? Pas du tout. « Il paraît qu’on peut vivre jusqu’à 120 ans alors j’entends bien tester ces limites biologiques ». Comme le dit la devise du 12e régiment : « Audace n’est pas déraison ».
En attendant, comme tous les mois, Roger va prendre son vélo, et traverser Strasbourg pour apporter ses épreuves dactylographiées à l’imprimeur qui lui sort son « Alsace Infos-Paix », si son imprimante récupérée dans une brocante veut bien sortir ses feuillets…et, comme il le dit si bien dans son magazine : « La noble devise de la France ; Liberté – Égalité – Fraternité- aujourd’hui encore, claironne l’espoir de la liberté et de la justice chez les peuples opprimés ». Et lorsque le Strasbourgeois de naissance évoque les accords de Locarno comme prémices à la SDN puis à l’ONU pour garantir la paix en Europe, on sourit en constatant la date de leur signature : 16 octobre 1925. Roger avait 8 mois…La colombe était encore dans son nid.