Planète Paix n°502 – Dossier : Europe de Paix ? Le Traité qui fait débat

 

 

 

 

Dossier : Europe de Paix ? Le Traité qui fait débat

 

 

 

 

 

 

 

Européens et pacifistes : paroles de militants

 

 

 

 

 

 

 

La paix constitue un élément important de la construction européenne. Le projet de Traité constitutionnel propose une certaine conception de la Défense et de la sécurité de l’Union. A l’issue de plusieurs mois de débat, la parole est donnée à trois militants du Mouvement de la paix, adhérents qui ne partagent pas les mêmes analyses sur ce projet. Au-delà de leurs différences d’appréciation, ils partagent et souhaitent faire partager cette exigence : faire de l’Union européenne un moteur d’un monde plus pacifique.

Planète Paix : Considérez-vous, actuellement, l’Union européenne comme un vecteur de paix pour l’Europe et pour le monde ?

Dominique Lalanne : L’Union européenne dans les crises récentes a été capable d’appréhender les problèmes de façon différente des Etats-Unis. La crise irakienne a montré que l’immense majorité des peuples d’Europe soutenaient la position de la France et de l’Allemagne qui privilégiaient une solution pacifique. Il faut que l’UE porte ce type de message ! Pour moi, il y a dans le projet de Traité constitutionnel cette force de proposition d’une Europe qui se situe volontairement en soutien à l’ONU. Plusieurs articles font référence à l’ONU. En cela, l’UE peut contribuer à la paix du monde.

Annie Frison : Le rejet de la guerre, du nazisme et du nationalisme ont porté la construction européenne dans le cœur des peuples. Ce désir d’une Europe de paix est vraiment important, mais pour moi ce que propose ce texte n’est pas à la mesure de ce que les gens espèrent. Le Mouvement de la paix a fait campagne depuis deux ans pour que l’Article 1 indique le rejet de la guerre comme « solution aux conflits ». Ce projet de constitution ne nous permet pas d’être un acteur de paix pour le monde, il ne contient pas non plus d’impulsion vers le désarmement.

Michel Verger : On ne peut pas traiter de l’Europe sans parler de l’état du monde : un monde de plus en plus inégal dominé par la recherche du profit. Cette politique libérale est de plus en plus rejetée. Pour moi, ce système est générateur de conflits. Dans le Traité, on part de bonnes questions mais on donne de mauvaises réponses. Il dessine une Europe-gendarme qui servirait de gardien au libéralisme. Tant que l’Europe ne s’inscrira pas en rupture avec ce système inégalitaire, elle ne sera pas facteur de paix.

Planète Paix : En quoi ce Traité va-t-il changer quelque chose ?

DL : Pour moi, la proposition d’une Défense commune européenne est très importante. Tous les Etats feront partie d’une Défense européenne ce qui est nouveau et dessine une Défense indépendante de l’OTAN car quatre Etats de l’UE ne font pas partie de l’OTAN. « Au cas où un Etat serait victime d’une agression, les Etats de l’Union lui porteront secours selon l’article 51de la charte de l’ONU. » (article I-41). En bref, l’OTAN devient inutile !!! A chaque fois qu’il est fait mention de l’OTAN, il y a en contrepartie mention de la Défense commune. Nous aurons un Président et un Ministre des Affaires étrangères qui pourront se faire entendre. Aucun pays de l’Union n’aurait pu faire la guerre contre l’Irak car cette guerre n’avait pas l’aval de l’ONU.

AF : A l‘inverse, j’estime que la référence à l’OTAN est bien trop centrale dans ce texte… Inquiétant aussi l’engagement des Etats à augmenter leurs capacités militaires et la constitution d’une agence de l’armement signifie un éloignement du contrôle public, faisant encore plus de l’armement une marchandise… Je voulais un Traité qui inscrive la lutte pour le désarmement, la réglementation de la fabrication et du commerce des armes, l’engagement vers une démilitarisation des relations internationales comme un véritable objectif. Il faut appuyer une Défense autonome sur des dynamiques de prévention et de résolution politique des conflits clairement sans l’OTAN et dans le cadre de la Charte de l’ONU.

MV. Pour moi, cet engagement « à améliorer les capacités militaires » signifie une militarisation accrue. Le Parlement s’est prononcé pour le désarmement nucléaire, alors pourquoi cela ne figure-t-il pas dans le texte constitutionnel ? La mention de compatibilité de la Défense européenne avec la politique de l’OTAN vient en contradiction avec la création d’une politique véritablement indépendante. Comment peut-on être indépendant si pour l’UE «  les engagements et la coopération demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l’OTAN qui reste, pour les Etats qui en sont membres, le fondement de leur défense collective» ? (I-41.7)

 

Planète Paix : Au-delà du Traité, dans quel sens devrait aller l’Europe pour devenir force de paix pour le monde ?

DL : Ce Traité est une base intéressante pour aller au-delà car il offre des outils nouveaux pour les pacifistes : la défense commune, la prévention des conflits (article I-41), la création d’une agence de l’armement qui devrait permettre de mieux gérer les budgets. Et c’est une grande première car les traités actuels (Nice…) ne disent rien sur la contribution de l’Europe à la paix. Le Parlement européen vient de proposer -et j’y ai beaucoup travaillé- un calendrier de désarmement nucléaire d’ici 2020. Ce nouveau Traité donnera plus de poids au Parlement, cela sera un point d’appui, ainsi que l’initiative citoyenne qui permettra de proposer de nouvelles lois avec un million de signatures.

MV : Certes, les citoyens peuvent « inviter » par une pétition d’un million de personnes la Commission à examiner une nouvelle loi, mais c’est la Commission qui tranche. D’autre part, ce système de pétitions doit uniquement porter sur le contenu du Traité, or il n’est pas fait mention des armes nucléaires dans le Traité… Si le Traité était rejeté, la charte des droits fondamentaux s’appliquerait quand même puisque le traité de Nice va jusqu’en 2009. D’ici là, une vraie constituante pourrait être mise en discussion à 25 avec une meilleure implication de tous les peuples.
Cette constitution, je voudrais qu’on la voie avec des yeux d’Arabe, d’Asiatique ou d’Africain. Si un groupe de ces pays décidait de se constituer en Union et concoctait une constitution avec dedans l’amélioration des capacités militaires et la possibilité d’intervenir pour prévenir des conflits hors de leur sphère géographique, quelle serait notre réaction ? Profitons de l’occasion pour travailler à une Europe plus démocratique et plus pacifique, une Europe active pour le désarmement.

DL : Cela ne peut pas se produire à l’heure actuelle avec le spectre politique européen. Si nous rédigions nous-même la constitution, elle ne serait pas acceptée !!! Pourtant, même si le texte actuel est insuffisant, c’est beaucoup plus que le traité de Nice !!! L’Europe devient autre chose qu’un marché, elle devient un interlocuteur politique !!!

AF : La stratégie des petits pas me semble insuffisante quand s’offre la possibilité d’une renégociation si notre pays vote « non ». Pour moi, l’urgence absolue est d’aller vers la démilitarisation des relations internationales et une politique de coopération avec le Tiers-Monde. Toute modification devra être prise à l’unanimité. Cela rend difficile tout « petit pas » qui irait vers un mieux. Pour finir, je voudrais souligner la façon dont on a débattu au sein du Mouvement de la Paix depuis plusieurs mois avec aussi d’autres pacifistes d’Europe et nous avons formulé des propositions. Nous avons décidé de ne pas donner de consigne de vote -même si certains se sont sentis frustrés-, notre déclaration commune est claire sur l’appréciation majoritaire dans le Mouvement, mais chacun doit se déterminer en conscience, c’est cela aussi la culture de la paix.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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