Hussain Jawad, le Bahreïn au coeur

A 29 ans, Hussain Jawad* a déjà connu la lutte, l’arrestation et la torture. Président-fondateur de European-Bahraini Organisation for Human Rights (EBOHR), le jeune bahreïni a choisi de reprendre le combat de son père Parweez qui reste emprisonné dans la pétro-monarchie. Entretien avec un homme de Paix…

Hussain Jawad a été détenu et torturé au Bahreïn pour son combat en faveur de la démocratie et de la paix au Bahreïn. Réfugié en France, il nous accordé cet entretien exclusif.

Hussain Jawad a été détenu et torturé au Bahreïn pour son combat en faveur de la démocratie et de la paix au Bahreïn. Réfugié en France, il nous accordé cet entretien exclusif.

– De France, le Bahreïn peut apparaître comme une « pétro-monarchie », un pays sans légitimité historique mais qu’en est-il réellement ?

Situé au cœur du golfe Persique, Bahreïn, dont le nom signifie « deux mers » a été un des premiers états à y découvrir du pétrole et à construire une raffinerie. Nous n’avons jamais atteint les niveaux de production du Koweït ou de l’Arabie saoudite, ce qui nous a forcés à diversifier notre économie. Historiquement Bahreïn est le carrefour naturel du Moyen Orient. C’est une monarchie dirigée par un roi sunnite issu de la famille Khalifa depuis 1783, et indépendant de l’Angleterre depuis 1971, dont les membres détiennent les principaux postes politiques et militaires. Jusqu’en février 2011, Bahreïn a pu apparaître dans les médias occidentaux comme une nation insulaire « romantique » au Moyen-Orient, avec un roi grand allié de l’Occident. Ainsi le roi de Bahreïn a été invité d’honneur au mariage du Prince Charles et de Camilla ; la Ve flotte de la marine américaine y est hébergée, le Royaume Uni et les États-Unis sont les principaux fournisseurs d’armes de ce gouvernement « amical ». Au cours de sa visite en décembre 2010, la secrétaire d’État Hillary Clinton a proclamé : « Je suis très impressionnée par les progrès que Bahreïn fait sur tous les fronts – économiquement, politiquement, socialement. Il existe une vision très complète vers lequel les peuples et le gouvernement de Bahreïn se dirigent ».
Mais de fait, le peuple et le gouvernement du Bahreïn ne se dirigent pas dans la même direction. Inspirés par la Tunisie et l’Egypte, les gens ordinaires sont descendus dans les rues du Bahreïn en février 2011, exigeant la démocratie et la fin des siècles d’un régime autoritaire. Comme réponse, le gouvernement a laissé entrer l’armée saoudienne.

Le 19 mai 2015, Hussain Jawad quittait les geôles du Bahreïn direction la France...

Le 19 mai 2015, Hussain Jawad quittait les geôles du Bahreïn direction la France…

– Quelle est la situation sociale du pays ?

Grâce à des prix élevés du pétrole, une grande richesse a afflué dans les coffres de la classe dirigeante. Le roi, Hamad Bin Isa al-Khalifa est réputé pour être l’un des principaux collectionneurs de voitures de sport sur la planète. C’est aussi le seul pays dans la région du Golfe à avoir signé un accord de libre-échange avec les Etats-Unis. Le résultat de cette politique donnant libre cours aux forces du marché est une augmentation sans précédent de la pauvreté et des difficultés pour la majorité de la population. Très peu de la richesse de l’élite se diffuse dans les bidonvilles du centre-ville, où des milliers de personnes se pressent dans des conditions insalubres. On estime que plus de 50.000 familles bahreïnies sont sur des listes d’attente pour des logements. Certaines de ces familles ont attendu plus de 20 ans pour en trouver un !
La majorité de la population est Chiite, alors que la famille régnante et la plupart de la classe dirigeante sont Sunnites. Les Chiites à Bahreïn sont victimes de discrimination concernant l’emploi et le développement social. Les dirigeants ont maintenu les conflits séculaires entre Chiites et Sunnites pour diviser le peuple.

– Quelle est la place pour la démocratie ?

Les journalistes, blogueurs et photographes bahreïnis risquent des peines de prison de cinq ans s’ils critiquent le gouvernement et la religion. L’autocensure est répandue et certains journalistes et blogueurs connus ont été mis derrière les barreaux. En 2014, Reporters sans frontières a décrit Bahreïn comme le « royaume de la désinformation » et a placé la monarchie dans la liste des « ennemis d’internet ».

– A titre personnel, comment menez-vous ce combat ?

Je suis un militant des droits de l’homme*. Comme nombre de mes camarades militants, j’ai été arrêté à plusieurs reprises en raison de mes actions pour avoir librement exprimé mon opinion. La persécution est devenue tellement commune que nous avons commencé à utiliser les attaques comme des opportunités de promotion de nos actions ! Quand j’ai été détenu à la fin de 2013, j’ai ainsi enseigné des cours d’éducation aux droits de l’homme aux jeunes hommes logés dans la même partie de la prison.

– Vous avez payé physiquement ce combat…

Oui. J’ai été soumis à la torture. J’ai subi des violences physiques et sexuelles par la Criminal Investigation Directorate (Direction des enquêtes criminelles ou CID). J’ai raconté à Amnesty international que durant mon interrogatoire, les officiers m’ont soumis à diverses formes de torture et de mauvais traitements. Par exemple, je suis resté de longs moments les yeux bandés, les mains menottées dans le dos, sans possibilité d’utiliser les toilettes, puis j’ai été battu, frappé sur la tête, sur les hanches, le dos et les jambes en étant menacé de sévices sexuels. Ils ont voulu me « punir » de défendre les droits de l’homme, et faire taire un critique acharné du gouvernement. Ils ont cherché des arguments pour m’enfermer de façon permanente. Officiellement, j’ai été détenu dans le but de me faire avouer le crime de « collecter de l’argent de [l’intérieur de] Bahreïn et à l’étranger pour aider et soutenir les saboteurs ». J’ai été condamné par contumace le 15 décembre 2015 à une peine de deux ans d’emprisonnement. Mais je suis aussi poursuivi en justice sur des accusations de « critique des institutions gouvernementales », « insulte au drapeau et à l’emblème du pays », « tentative de perturbation de la sécurité publique », « rassemblement illégal», « insulte au roi », « provocation de haine envers le régime », « diffusion de fausses informations » et… « abus des réseaux sociaux comme Twitter » !

– Et aujourd’hui, où en êtes-vous ?

Je suis désormais demandeur d’asile en France, où je me suis enfui avec ma femme et mon fils en août 2015. Mon fils ne grandira pas avec des descentes policières toutes les nuits, et ma femme a pu s’inscrire à l’université. Je peux travailler sans crainte que la police fasse une descente dans ma maison et saisisse mon ordinateur. Ils ont réussi à faire en sorte que les défenseurs des droits de l’homme soient plus efficaces et productifs en dehors du Bahreïn !

Interview réalisée par : Nicolas LAVALLÉE pour “Planète Paix” le magazine du Mouvement de la Paix

* Hussain Jawad est président et co-fondateur de l’European-Bahraini Organisation for Human Rights (l’Organisation bahreïno-européenne pour les droits de l’homme, ou EBOHR), fondateur de la Bahrain Youth Society for Human Rights, et militant actif au sein du Bahrain Center for Human Rights depuis 2002.

Le Bahreïn, une pétro-monarchie en proie à une oligarchie et une pauvreté grandissantes...

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