Intervention de Dominique Lalanne (Physicien nucléaire au CNRS) – 13/11/2003 Le désarmement nucléaire est dans l’impasse. Les pays “nucléaires” engagent un course à l’amélioration de leurs arsenaux nucléaires, les Etats-Unis en tête avec la mise au point de mini-nukes pour le champ de bataille et leur nouvelle doctrine de frappe “préventive”. Les pays non-nucléaires réagissent donc en voulant se doter d’un armement nucléaire très simple mais tout de même menaçant. On est donc dans une logique qui abandonne de fait le TNP (Traité de non-prolifération). Dans ces conditions on ne peut exclure une utilisation prochaine d’armes nucléaires dans un conflit. Or le TNP demeure une loi internationale qui est quasiment universellement reconnue (sauf par quatre Etats) et qui doit donc prévaloir par rapport aux lois nationales décidées par des Etats membres. C’est donc au départ, dans ce cadre, qu’il faut se situer pour engager un processus réel de désarmement.
L’Europe seule, dans ce contexte, peut faire une proposition de sortie de crise. L’Union Européenne est majoritairement formée d’Etats opposés à l’armement nucléaire, elle comporte deux des cinq Etats nucléaires, deux Etats de la “New Agenda Coalition” qui fait une pression constante pour le désarmement nucléaire à l’ONU, deux membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU et enfin tous les Etats de l’UE sont membres de l’OTAN. Une volonté claire de l’UE pourrait donc déboucher sur une proposition crédible.
La Conférence du Désarmement de Genève où devrait s’élaborer un agenda de désarmement nucléaire est bloquée car les décisions ne peuvent être prises dès lors que certains Etats membres du TNP sont en désaccord. Cette structure n’est donc pas adaptée à un processus de désarmement.
Les structures récentes qui ont ouvert des avancées mondiales sur des problèmes globaux sont celles du processus de Kyoto sur les gaz à effet de serre, du traité d’Ottawa sur les mines antipersonnel, et la Cour Pénale Internationale. Ce sont des processus où s’impliquent les Etats qui souhaitent arriver à une solution. Les autres sont en quelque sorte extérieur au processus. Mais la grande force est de dégager une “loi internationale” qui tend donc à s’imposer par la pression internationale. Pour amorcer un désarmement nucléaire réel, il faut donc recourir à un processus de ce type.
Le maire d’Hiroshima propose que les prochaines sessions de la conférence de révision du TNP en mai 2004 et mai 2005 décident d’une telle structure. Les groupes français et anglais d’Abolition 2000 proposent que l’UE avec la France et le Royaume-Uni le propose dès que possible, même avant ces conférences. Kofi Annan propose que cela se crée dans le cadre de l’ONU et de façon indépendante sur “les dangers du nucléaire”, mais dans tous les cas, il s’agirait d’une structure qui ne serait pas paralysée par les Etats Unis ou un quelqu’autre pays. Toutes ces propositions se rejoignent.
Les groupes français et anglais d’Abolition 2000 ont réfléchi à un scénario que pourrait proposer l’UE. Ce scénario est décrit dans un livre qui prend comme base de travail les conclusions de la commission de Canberra (“Vers une Europe sans armes nucléaires”, Jean-Marie Collin, Observatoire des armes nucléaires, CDRPC, 187 montée des Choulans, 69005 Lyon, France, 12 euros, port compris).
Si l’UE, la France et le Royaume Uni proposent un tel type de démarche, on peut imaginer les étapes suivantes les concernant, auxquelles pourraient s’associer d’autres pays nucléaires (la Russie, peut-être aussi l’Inde et le Pakistan, voire la Chine), de nombreux pays non-nucléaires mais dits “du seuil”, et dont le but serait de fixer un calendrier mondial de désarmement:
déclaration commune de la France et du Royaume Uni (dans le cadre de l’UE) de respecter la loi internationale que représente le TNP et en particulier l’obligation du désarmement nucléaire imposée par l’article VI
proposition de la France et du Royaume Uni appuyée par l’UE d’une tenue de conférence internationale pour fixer un calendrier de désarmement nucléaire.
déclaration de l’UE de mettre tout son appui dans cette démarche.
arrêt de la modernisation des arsenaux de la France et du Royaume Uni.
démilitarisation de la recherche et en particulier arrêt du Mégajoule et reconversion des laboratoires à la recherche civile.
décision de retirer toutes les armes aéroportées et tactiques et en particulier cela concerneraient celles de l’OTAN. La Russie pourrait s’associer pour retirer aussi ce type d’armes dans sa partie européenne, jusqu’à l’Oural. Dans ce cas toute l’Europe serait débarrassée des armes tactiques et aéroportées. Ceci serait très intéressant pour les anciens pays de l’Est.
protocole “d’assurance négative” avec tous les autres pays. (non agression nucléaire en premier -“No-first-use”-, et non agression d’un pays non nucléaire). Cela pourrait aussi intéresser la Chine car les nouveaux missiles prévus par la France pour 2010 pourront atteindre Pékin depuis un tir au large du cap Nord.
un “Cut-off Treaty” ( traité sur les matières fissiles) incluant le tritium (matière fusible qui a une durée de vie de 12 ans et donc qui implique une grande maintenance des bombes). Cela rendrait les bombes inutilisables en un délai très bref (environ 5 ans) mais cela ne correspondrait néanmoins pas à un démantèlement car une production de tritium permettrait de les remettre en service. Evidemment cela serait à négocier avec une mesure identique chez les autres pays qui pourraient menacer l’Europe.
équipement des sous-marins par une dissuasion mixte conventionnelle-nucléaire dans une première étape, puis progressivement totalement conventionnelle. Ceci pouvant être atteint en 2020 comme le propose le maire d’Hiroshima.
Je voudrais développer un tout petit peu l’aspect de militarisation de la recherche de pointe qu’entreprend la France avec le Mégajoule (comme les USA avec le NIF).
Le Mégajoule va servir à étudier la fusion nucléaire de l’hydrogène (ses isotopes deutérium et tritium) que l’on va allumer avec 240 faisceaux lasers pour atteindre la température de dix millions de degrés en moins d’un millionième de seconde. C’est la condition nécessaire incontournable. Et le phénomène qui est mal compris par les physiciens correspond à ce qui se passe entre le début de l’allumage et l’explosion de l’ensemble. Dans les bombes nucléaires actuelles, on obtient cette température en faisant exploser, à côté de l’hydrogène, une bombe à l’uranium enrichi ou au plutonium. Il n’existe pas d’autres moyens. Une bombe à fusion pure serait une nouvelle merveille pour les militaires. Ce serait la « bombinette » nucléaire idéale pour le champ de bataille, “propre et modulable”.
En effet, l’uranium et le plutonium explosent grâce à un processus de fission (les noyaux atomiques se cassent) et cela se produit lorsque l’on atteint une “masse critique” de 5 kilos pour le plutonium et de 11 kilos pour l’uranium enrichi. Il est donc impossible de faire de petites bombes nucléaires. Avec un allumage laser du mélange deutérium-tritium, on pourra faire des bombes d’une puissance inférieure à 1000 tonnes de TNT. Toute une gamme qui n’existe pas actuellement, entre 1 tonne et 1000 tonnes de TNT. Des armes nucléaires sans uranium ni plutonium et donc occasionnant une pollution presque négligeable de l’environnement. Seulement due au grand flux de neutrons. Ces “mini-nukes” seront à n’en point douter, une véritable aubaine pour les états-majors !
Evidemment de telles bombes miniaturisées impliquent un changement de stratégie. D’armes de « non emploi » et de « dissuasion », elles vont devenir des bombes nucléaires « prêtes à l’emploi ». L’idéal pour des frappes “préventives”. Il s’agit d’une véritable inversion de la sacro-sainte doctrine de dissuasion nucléaire.
On voit donc qu’il se développe actuellement une recherche pour des bombes nucléaires d’un type nouveau, qui pourraient arriver sur le champ de bataille en 2030-2050 et qui rendraient la guerre nucléaire encore plus facile à déclencher. D’où l’urgence à arrêter ce processus.
Doit-on rappeler que tous les pays européens ont signé le TNP et s’engagent donc à l’élimination complète des armes nucléaires ? Une démarche intéressante pourrait être la signature de l’UE, en tant que telle, du Traité de non-prolifération. Avis au Parlement européen et au Conseil des chefs d’Etats. Avis aussi aux citoyens européens pour faire sentir la pression de l’opinion publique à leurs dirigeants.
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