TNP 2009 : Intervention de Pierre Villard à l’ONU

 

 

Intervention de Pierre Villard au nom des ONG devant les ambassadeurs à l’ONU

 


La théorie de la dissuasion est contestable


Monsieur le Président, Monsieur le représentant de l’Onu,
Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, Chers amis des Ong,

Nous nous adressons à vous aujourd’hui à propos de la théorie de la dissuasion nucléaire. En effet, beaucoup d’entre vous emploient ce terme d’« armes de dissuasion » quand ils parlent d’armes nucléaires. Nous contestons cette théorie que nous considérons erronée.

Nous la refusons car les armes de dissuasion, cela n’existe pas. Les armes finissent toujours par servir un jour ou l’autre. Nous la contestons car les armes nucléaires ont déjà fait de nombreuses victimes. Nous pensons bien sûr aux victimes des bombardements inutiles d’Hiroshima et de Nagasaki. Nous pensons également aux populations civiles d’Algérie, de Polynésie, de Alamogordo, du Nevada, du Kazakhstan, de Maralinga ou encore de Lop Nor pour ne citer qu’elles, et des militaires, souvent des appelés du contingent, qui ont été victimes des essais nucléaires. Nous pensons aussi aux millions de personnes victimes du véritable détournement de fond que constituent les budgets colossaux consacrés aux armes nucléaires. Au total, pour une arme de dissuasion, cela fait beaucoup de victimes depuis 1945.

Le concept de dissuasion est aujourd’hui le plus grand obstacle à l’élimination des armes nucléaires. La dissuasion nucléaire est une politique qui s’appuie sur l’idée que la possession de l’arme nucléaire et la menace de son utilisation aboutiraient à une « Destruction mutuelle ». Elle doit laisser sa place à un système de « Sécurité mutuelle ». Si les gouvernements qui parlent de dissuasion sont vraiment sérieux dans leur volonté d’obtenir l’élimination des armes atomiques, alors ils doivent se débarrasser de leurs armes nucléaires comme preuve de leur engagement. Comme vous le savez, le Président des Etats-Unis M. Barack Obama a récemment déclaré avoir pour objectif un monde sans arme nucléaire. Nous nous en félicitons, comme nous nous félicitons des propositions qu’il a faites avec M. Dimitri Medvedev, et qui rejoignent un certain nombre des nôtres. Il s’agit d’un changement important des premières puissances du Monde. Nous demandons aux délégations présentes à ce comité préparatoire de s’en saisir avec audace.

Dans les pays dotés d’armes atomiques, les dirigeants sont persuadés que les armes nucléaires assurent leur sécurité. Il peut exister des situations où l’arme nucléaire dissuade un ennemi. Mais cette théorie comporte une énorme faille : celle de ne pas se situer dans un monde en mouvement. Les dirigeants qui prônent la dissuasion parlent comme si le monde était figé, qu’il n’évoluait pas. On peut penser que des dirigeants bien intentionnés disposent d’armes de destructions massives en ayant la conscience morale de ne pas les utiliser. Mais qui peut parier sur la stabilité éternelle du monde ? Qui peut affirmer que les démocraties le resteront ? Personne. Et qu’adviendrait-il si des personnes mal intentionnées prenaient le pouvoir aux Etats-Unis, en Russie, en Chine, en Grande-Bretagne, en France, au Pakistan, en Israël ou en Inde ?

De plus cette position narcissique des Etats dotés d’armes nucléaires est de nature à provoquer la jalousie, l’humiliation, voire la peur de la part des autres Etats. Mesdames et Messieurs les représentants des Etats dotés d’armes nucléaires, vous ne pouvez pas argumenter de la nécessité de l’arme nucléaire pour votre sécurité, tout en la refusant aux autres pour leur propre sécurité. Si l’arme nucléaire est bonne, alors elle est bonne pour tout le monde. Si elle est mauvaise, elle est mauvaise pour tout le monde. Ce « deux poids – deux mesures » devient de plus en plus insupportable. Il doit laisser la place à deux poids une mesure, abolition totale des armes nucléaires.

La théorie de la dissuasion repose sur une croyance que les puissants peuvent contrôler la situation par leur domination et la soumission des autres Etats. Mais pour fonctionner, cette théorie a besoin de s’inscrire dans un processus de diminution des tensions mondiales. Or, en maintenant leur domination, sans s’inscrire dans un processus de réduction des armes nucléaires, les Etats dotés d’armes nucléaires entretiennent les tensions. Depuis 2002, les dépenses militaires mondiales sont passées de 845 milliards de dollars à 1339 milliards de dollars en 2007. Pensez-vous que le Monde en soit plus sûr aujourd’hui qu’il y a 6 ans ?

Si nous acceptons qu’un Etat puisse utiliser l’arme nucléaire pour sa dissuasion, qu’en est-il de l’Etat provisoirement dissuadé ? La première réaction de l’Etat dissuadé est obligatoirement de chercher une parade. La seule issue pour lui est donc de tenter d’acquérir à son tour l’arme dite de dissuasion. C’est probablement ce qui a fait dire à M. Ban Ki Moon le 24 octobre dernier « Malheureusement la doctrine de la dissuasion s’est révélée contagieuse ». Nous savons tous qu’aujourd’hui plusieurs dizaines d’Etats sont en capacité de mettre au point des armes nucléaires. Mohamed El Baradeï évaluait il y a peu ce nombre à une quarantaine de pays. On compte parmi eux des pays très actifs pour le désarmement. La possession ou non de l’arme nucléaire est donc d’abord une question politique. Et c’est bien là, la première vocation des armes nucléaires. L’arme nucléaire n’est pas une arme de dissuasion, c’est une arme de domination. Et si vous ne voulez pas vous débarrasser de vos armes nucléaires, ce n’est pas parce qu’elles vous protègent, ce n’est pas parce qu’elles dissuadent vos hypothétiques ennemis, c’est parce que vous voulez continuer à dominer le monde.

La dissuasion est toujours imparfaite. L’histoire de la guerre, c’est aussi l’histoire de l’erreur.
Jusqu’à ce que nous découvrions un secret qui nous permette d’abolir le péché et la tentation, nous sommes face à un énorme risque : celui d’être tenté d’utiliser à son avantage personnel le sentiment d’intouchabilité que procure la possession des armes nucléaires. Il est facile de reconnaître l’injustice quand on est dans la position de la victime. C’est plus compliqué quand on est dans la position de l’agresseur. Aussi longtemps que durera ce déséquilibre flagrant du pouvoir entre ceux qui possèdent l’arme nucléaire et ceux qui ne la possèdent pas, tous seront entrainés dans une course aux armements qui rendra futile tous les efforts pour rétablir une quelconque équité sur la planète. Cette asymétrie provoque des peurs, des tensions et de l’instabilité aux quatre coins du Monde.

La lutte contre le terrorisme fait de plus en plus partie de la panoplie des arguments pour la dissuasion. Ce n’est pas crédible ! S’il y a bien un domaine dans lequel les armes nucléaires ne dissuadent personne, c’est dans la lutte contre le terrorisme. Regardons ce qu’il s’est passé le 11 septembre 2001. Tout l’arsenal nucléaire de la première armée du monde n’a servi à rien et n’a dissuadé personne. Si nous voulons empêcher les groupes non-étatiques d’avoir accès à l’arme atomique, alors vite éliminons les armes nucléaires.

Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, nous voudrions nous adresser tout particulièrement aux pays qui ont renoncé à l’utilisation de l’arme nucléaire. Mesdames et Messieurs les représentants du Brésil, de l’Argentine, de l’Afrique du Sud, de l’Ukraine, de la Biélorussie, du Kazakhstan, de la Suède, depuis que votre pays a renoncé à l’arme atomique, avez-vous le sentiment que votre sécurité est plus en danger ou moins en danger que du temps où vous aviez ou projetiez d’avoir l’arme atomique ? En tout état de cause, nous, représentants d’Ong voulons vous remercier d’avoir renoncé au mirage de la dissuasion nucléaire et vous invitons à redoubler d’effort pour convaincre la poignée d’Etats récalcitrants à faire de même.

La menace dissuasive des armes de destruction massive, notamment des armes nucléaires est anachronique dans un monde dans lequel existe la Cour Pénale Internationale. La sécurité du monde est à construire tous ensemble. Décider de garder seul ses armes nucléaires est une attitude de cow-boy qui décide de faire sa loi lui-même. Dans toutes les cours d’école du monde, on apprend aux enfants qu’il ne faut pas se faire justice soi-même, mais faire appel aux lois démocratiquement établies. En argumentant le maintien de vos armes nucléaires pour votre sécurité et pour la dissuasion, vous expliquez à ces enfants qu’une poignée d’entre eux pourraient posséder des armes pour se défendre et dissuader les autres, tout en l’interdisant au plus grand nombre. C’est aussi comme ce père de famille qui interdit la cigarette à ses enfants parce c’est mauvais pour leur santé, mais se l’autorise à lui-même.

Mesdames et Messieurs les ambassadeurs des puissances nucléaires, tant que vos pays continueront à pervertir la notion positive de dissuasion, vous n’empêcherez pas un autre pays de revendiquer ce droit au même niveau que le votre. Il est urgent que vous fassiez preuve de bonne volonté et que vous donniez des gages aux pays que vos armes menacent. Pour prévenir une catastrophe atomique – de plus en plus plausible – il y a urgence qu’un vaste mouvement s’engage – impliquant les pays dotés d’armes nucléaires et les pays non-dotés – donnant confiance à la communauté internationale dans son ensemble.

La possession d’armes atomiques, n’est pas une question technologique. C’est d’abord une question politique. Ce qui détermine la possession d’armes nucléaires, ce n’est pas la capacité ou non de le faire ; c’est le choix ou non de la menace, par la destruction potentielle de la planète entière.

L’arme nucléaire ne dissuade personne. Depuis qu’elle existe, elle n’a pas empêché les guerres, elle n’a pas empêché les dominations. Elle a engagé le monde dans une folle course aux armements. La meilleure dissuasion, la meilleure prévention, c’est la satisfaction des besoins des femmes et des hommes de notre petite planète. La paix ne se construit pas avec des armes atomiques, elle se construit avec de la justice, elle se construit avec des droits, elle se construit avec la démocratie, elle se construit avec des écoles, elle se construit avec des théâtres, …

La théorie de la dissuasion nucléaire, c’est une culture de la guerre. Elle n’a que trop duré. Il est temps de consacrer aux êtres humains un peu de ce que vous avez consacré à la guerre, en promouvant une culture de la paix. C’est la seule dissuasion viable et durable qui vaille aujourd’hui.

Mesdames et messieurs les ambassadeurs, nous vous demandons de faire disparaître la dissuasion nucléaire de vos stratégies diplomatiques et d’œuvrer à une diplomatie de résolution des conflits en conformité avec la Charte des Nations Unies.

Intervention du Mardi 5 Mai 2009, 15h, New York

 

 

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