Etat de la prolifération nucléaire
Bruno Barrillot. Observatoire des armes nucléaires françaises |
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S’il fallait donner une qualification à la prolifération nucléaire, je dirais que le « nucléaire » est congénital à la prolifération.
Qu’on se rappelle la course à la bombe entre l’Allemagne nazie et les Etats-Unis aboutissant au programme Marthattan et aux bombardements d’Hiroshima et Nagasaki ;
– la course aux armes nucléaires dès 1945 entre les Etats-unis et I’URSS… suivis de loin par le Royaume-uni, la France et la Chine.
Il aura fallu la crise de Cuba, en 1962, où la guerre nucléaire fut à deux doigts d’être déclenchée pour que les Etats-unis et I’URSS se décident à parler de non- prolifération. En fait, imaginant la catastrophe évitée de justesse, c’est-à-dire concrètement les deux grandes puissances de l’époque rayées de la carte, il s’agissait de barrer la route de l’arme nucléaire à tous ces nouveaux Etats, supposés non raisonnables ou peu accessibles à la dialectique de la dissuasion qui avait permis de sortir de la crise de Cuba.
L’âge d’or de la non-prolifération
Les trois grandes puissances nucléaires d’alors mirent en route le processus qui allait aboutir en 1968 au traité de non prolifération nucléaire, entré en vigueur en 1970. Conscients de l’inégalité du traité qui sépare les pays en « puissances dotées d’armes nucléaires » (les cinq : USA, URSS, R-U, France, Chine) et les autres pour lesquels l’arme nucléaire est interdite, peu de pays se sont précipités au premier abord pour signer le TNP. Il faut bien garder en mémoire que ce sont les intérêts de sécurité des puissances nucléaires -et particulièrement des deux puissances rivales USA et URSS- qui sont en jeu dans le processus de non-prolifération.
Advint 1974 où l’Inde réalisa une explosion nucléaire souterraine (annoncée sous un label « pacifique » ). A partir de ce moment-là de nombreux pays du sud s’engagèrent sur la voie de la non-prolifération en adhérant au TNP. En effet, l’opinion, à l’époque, était que pour survivre, il valait mieux ne pas avoir d’armement nucléaire et décider ses voisins à ne pas en avoir non plus.
De nombreux traités furent alors signés dans cette perspective à la fin des années 70 et dans les années 1980 : traités instituant des zones exemptes d’armes nucléaires (Amérique du Sud, Pacifique Sud, puis Afrique, puis Asie centrale. . . . accompagnant des annonces de renoncement à l’arme nucléaire de grands pays de ces régions (Brésil et Argentine, Afrique du Sud…)
Le glas de la non prolifération
Si l’on reprend notre chronologie, la chute du Mur de Berlin et de I’URSS en 1989-1990 sonne le glas de l’engagement des deux grandes puissances pour la non-prolifération. Désormais les deux « grands » ne craignent plus de se pulvériser mutuellement : entre eux, pourrait-on dire, la dissuasion n’est plus de mise.
Ils n’en renoncent pas pour autant à l’armement nucléaire, mais le changement de perspectives quant à ces armes et à la non-prolifération est totalement différent.
Malgré la prorogation indéfinie du traité de non-prolifération nucléaire décidée en 1995, les Etats-unis et la Russie (et dans une moindre mesure les autres puissances nucléaires) ne croient plus à la non-prolifération :
– les Etats-unis et la Russie et les autres puissances nucléaires se débarrassent des armes en surnombre ou obsolètes,
– les négociations sur le désarmement nucléaire (projet de traité sur les matières nucléaires et désarmement nucléaire tel qu’énoncé dans l’article Vl du TNP) restent sans suite ;
– les puissances nucléaires réagissent mollement aux essais nucléaires de l’Inde et du Pakistan,
– on ne réagit pas à la montée en puissance de l’arsenal nucléaire israélien,
– on ferme les yeux sur les « trafics » entre Etats nucléaires et pays « candidats ». Par exemple, entre le Pakistan et la Corée du Nord où le premier aurait échangé des technologies d’enrichissement de l’uranium contre des technologies de missiles où les Coréens sont plus performants ; autre exemple, la Russie et la Chine ont vendu des technologies nucléaires à l’Iran, sans que les autres grandes puissances nucléaires réagissent vigoureusement contre ces détournements de la part des deux Etats adhérents au TNP.
Les moyens de pression ne manquaient pourtant pas pour empêcher de tels trafics pouvant conduire ces pays dits « voyous » à devenir des puissances nucléaires. Les moyens de la diplomatie et l’application stricte des procédures de vérification prévues par les traités internationaux sont quasiment abandonnés quand, comme ce fut le cas pour la récente guerre contre l’Irak, les inspecteurs de I’ONU furent quasiment congédiés pour laisser place à la guerre.
Les faiblesses du TNP
Il faut reconnaître cependant une faiblesse du TNP : celui-ci ne prévoit pas de systèmes de sanctions efficaces en cas d’infraction de la part d’Etats adhérents au TNP : soit le pays se retire du TNP, ce qui a été fait par la Corée du Nord en janvier dernier, soit I’AIEA chargée de constater les infractions, n’ayant pas de moyens propres laisse aux Etats parties au TNP de réagir. Or on le voit bien, les Etats « protecteurs de la non-prolifération » se refusent à intervenir bien souvent pour des raisons bassement commerciales. Ainsi, aucune sanction ou remontrance n’a été prise contre la Russie ou la Chine qui vendent des technologies nucléaires à l’Iran. De même, le Pakistan « allié » dans la lutte contre le terrorisme n’est pas sanctionné pour ses échanges de technologies avec la Corée du Nord. La France et la Grande-Bretagne qui tiennent souvent un discours sur la non-prolifération n’ont guère réagi à ces infractions, à la logique du TNP : il faut dire que le Pakistan est client des armes françaises et que les échanges commerciaux avec la Russie et la Chine sont tels qu’elles ferment les yeux sur les trafics…
Tout régler par la guerre
Alors, il reste l’option militaire, choisie par les Etats-unis aussi dénommée « contre- prolifération ». Car c’est bien de cela qu’il s’agit : la politique engagée par les néo-conservateurs américains prône la solution militaire préventive, de préférence aux pressions diplomatiques et aux procédures prévues ou à mettre en oeuvre dans le cadre des traités, pour lutter contre la prolifération nucléaire. Cette politique du tout militaire déteint même sur l’Europe si l’on s’en tient aux déclarations de Javier Solana, chargé de la politique de défense et de sécurité de l’Union Européenne, montrant que l’Europe va maintenant s’aligner sur la pente dangereuse de l’interventionnisme « préventif »
Poursuite de la prolifération verticale
Les puissances nucléaires se soucient si peu de la non prolifération – sinon dans les discours, comme vient de le faire Jean-Pierre Raffarin à I’IHEDN le 16 octobre – qu’ils s’engagent tous dans la modernisation de leurs arsenaux.. . C’est évidemment la critique faite le plus fréquemment à l’encontre des puissances nucléaires. Tout le monde ici en est bien convaincu. Comment s’étonner que des Etats cherchent à acquérir l’arme nucléaire alors que ceux qui la possèdent se moquent des engagements pris dans le TNP ?
Pour être dans l’actualité en ce qui concerne la France, le budget de la défense pour 2004, consacre plus d’un milliard d’euros pour les armements nucléaires (sous-marin, missiles M51 et ASMP-A) et, concernant la recherche militaire, diminue toutes ses lignes budgétaires, sauf celle de la recherche consacrée au nucléaire qui voit ses crédits largement augmentés… On pourrait poursuivre en prenant chaque Etat nucléaire, mais tout le monde ici connaît tout cela.
Pour conclure
L’état pitoyable de la non-prolifération dans notre monde d’aujourd’hui résulte certainement et surtout d’une absence de volonté politique des Etats dotés d’armes nucléaires à appliquer pour eux-mêmes ce qu’ils prônent pour tous les autres. Mais aussi d’un manque de courage politique qui fait que les intérêts commerciaux commerce de technologies ou échanges commerciaux – priment sur le devoir de réagir lorsque qu’un Etat se met en infraction avec les règles de la non-prolifération. Les Etats voyous ne sont pas toujours uniquement ceux que l’on désigne comme tels !
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