
Le
Mouvement de la Paix a rencontré André Métayer, Président de l’Association des “Amitiés Kurdes de Bretagne”. Retour sur cette entrevue.
Mouvement de Paix : Bonjour Monsieur Métayer, vous êtes le Président de l’Association des « Amitiés Kurdes de Bretagne ». Je vous remercie d’avoir bien voulu accepter notre invitation. Pouvez-vous nous présenter votre association et nous expliquer vos actions ?
A. Métayer de l’Association des « Amitiés Kurdes de Bretagne : Depuis sa création, l’association poursuit un triple objectif: tout d’abord comprendre les revendications du peuple kurde qui réclame des droits culturels et politiques, et les faire connaître aux élus politiques, aux acteurs de la vie sociale, et à l’opinion publique. Ensuite, soutenir la démocratie locale en notant les atteintes aux droits humains les plus élémentaires, en prenant la défense des personnes injustement poursuivies devant les tribunaux et en soutenant les initiatives en faveur des libertés culturelles et politiques. Et enfin, œuvrer en faveur de la paix en participant à des projets de coopération, à caractère économique et social.
MdP : Qu’est ce qui vous a amené à vous investir dans ce projet ?
A. Métayer : Lors d’un voyage en 1994 dans la partie kurde au Sud-Est de la Turquie, nous sommes entrés dans un village qui venait juste d’être incendié par l’armé turque à cause de la prise de position des villageois et de leur soutien aux combattants kurdes. Un homme âgé d’une cinquantaine d’années a voulu malgré les risques encourus témoigner au près de notre équipe sur la réalité de la situation afin que la vérité soit connue du monde entier .(*)

Le Mouvement de la Paix à Kôbané pour le lancement de la Marche mondiale des femmes le 8 mars 2015
MdP : La compréhension du conflit qui secoue cette région à présent est difficile à analyser.
A. Métayer : Oui, avec le récent conflit avec Daesh, les européens ont brusquement découvert la ville de Kobané ainsi que des Kurdes « combattants » alors qu’ils étaient jusque là présentés comme « terroristes » par la Turquie, certes, mais aussi par les USA et l’Union Européenne. Il y a environ 15 à 18 millions de Kurdes en Turquie ce qui représente 18 % de la population du pays. La majorité des Kurdes vit dans le Sud-Est de la Turquie.(**). Mais, bien avant l’avancée de Daesh, la lutte armée fut, pour les Kurdes, une obligation.
MdP : Qu’est ce que le PKK et quel est son objectif pour vous ?
A. Métayer : Le PKK (Parti des Travailleurs Kurdes) dirigé par Öcalan a commencé la lutte armée en 1984. Même si Öcalan est toujours emprisonné dans son île prison, il dirige toujours activement le parti du PKK, ce qui est un fait assez exceptionnel en soi. Les Kurdes le comparent à Mandela.
Le PKK a mis en place une idéologie qui progresse vers plus de démocratie. On pourrait le comparer au parti communiste de la clandestinité (avec les F.T.P) et des années d’après guerre. C’est un parti puissant qui s’organise autour de la lutte contre le régime anti démocratique de la Turquie et influence toutes les branches de la société : armées, écologiques, féministes.
MdP : On parle beaucoup de l’engagement des femmes dans les forces de combat kurdes.
A. Métayer : Les femmes kurdes participent activement et représentent 1/3 des combattants armés. Elles le font aussi pour échapper à une organisation de société patriarcale. Les règles sont strictes. Le mariage est interdit entre les hommes et les femmes combattants et les régiments sont séparés hommes/ femmes.
MdP : Que pensez vous de la position ambiguë de la Turquie qui d’un côté laisse passé des candidats au djihad et qui de l’autre fait partie de l’alliance contre Daesh ? Quel est son intérêt ?
A.Métayer : La Turquie n’est pas intervenue et a laissé les combattants kurdes de Syrie, le PYD, se battre seuls en refusant même le passage à la frontière des renforts kurdes de Turquie. Cela faisait partie de sa stratégie car la Turquie ne peut soutenir les Kurdes contre lesquels elle est en conflit depuis trop longtemps . Bien sûr, il y a eu le soutien américain avec des raids aériens mais rien ne peut remplacer les troupes au sol.
MdP : Les élections sont pour bientôt en Turquie .
A. Métayer : Les prochaines élections auront lieu en Juin. Contre le parti majoritaire au pouvoir, l’AKP, parti islamo-conservateur du président autocrate R.T. Erdogan, plusieurs partis se présentent tel que le HDP, Parti de la Démocratie des Peuples. Le HDP est un parti de gauche rassemblant les forces du mouvement kurde (regroupé dans le BDP) et élargissant sa base électorale aux hommes et aux femmes de Turquie militant pour les droits des autres minorités ( Arméniens, Juifs, Roms, Alevis, homosexuels), pour la défense de l’environnement et pour des réformes sociétales en faveur de la démocratie, de la laïcité, de l’égalité homme/femme et des droits pour les travailleurs. Il milite pour la paix et une autonomie démocratique. Les autre partis d’opposition sont le CHP, parti social démocrate laïc et nationaliste et MHP qui est un parti d’extrême droite.
MdP : Pensez-vous que nous sommes sur la voie de la Paix comme le souhaite Öcalan ?
A. Métayer : Les Kurdes croient dur comme fer à une solution de paix. Cela permettrait à Öcalan de sortir de prison mais j’ai du mal à faire confiance à la Turquie Il est difficile pour elle d’accepter qu’un pays autonome kurde se crée. Erdogan est autocrate et veut garder tous les pouvoirs. Il ne voit que son intérêt. La Turquie a le triste record du nombre de journalistes en prison. Pour lui il n’est pas possible d’accepter une démocratie autonome kurde. Il ne peut pas lâcher le Kurdistan comme ça . L’opinion internationale le laissera sûrement faire car la Turquie est la deuxième armée de l’OTAN.
MdP : Qu’en est-il pour les Kurdes de Syrie ?
A.Métayer : Le projet « d’autonomie démocratique » des Kurdes de Syrie n’est pas pour l’instant remis en question car les forces combattantes du PYD, parti majoritaire du Kurdistan syrien (Rojava), font partie de l’union sacrée contre Daesh.
Mdp : Je vous remercie pour avoir accepté de nous consacrer un peu de votre temps et j’invite nos adhérents à venir visiter le site internet de votre association « Amitiés Kurdes de Bretagne » www.akb.bzh qui est riche en informations que ce soit sur la situation du conflit ou que ce soit sur la richesse culturelle du peuple kurde afin de mieux comprendre la situation dans la quelle se trouve cette région.
Propos recueillis par Isabelle Gadeau de la Commission Moyen Orient
*(En effet, à cette époque, le pouvoir militaire voulait convaincre les villageois de prendre les armes contre le PKK et leur proposait de les rémunérer pour qu’ils collaborent et deviennent « protecteurs de villages » (korucu ). S’ils refusaient, ils étaient expulsés et leurs maisons ainsi que les champs étaient brûlés. Le processus de scolarisation au sein des villages kurdes a été brutalement interrompu par la migration “forcée”. Les enfants des deux sexes de moins de 12 ans (et d’autant plus fortement filles) ont désormais un niveau de scolarisation moindre que celui de leurs pères, aujourd’hui âgés d’une quarantaine ou d’une cinquantaine d’années. Certains d’entre eux n’ont pas suivi de cursus primaire à Istanbul alors que, très probablement, s’ils étaient demeurés à Mardin (dans la région Kurde de Turquie) ils auraient été scolarisés. Le taux d’alphabétisme à Mardin atteint, en 2000, 71,22 %.(sources :halshs archives-ouvertes))
**(On estime à 15 millions de kurdes en Turquie soit 18 %de la population totale. Il y a environ 7 à 8 millions en Iran. On dénombre 1 à 2 millions en Syrie dont 800 000 qui sont privés de nationalité.Tandis qu’en Irak , il y en aurait 6 à 6,5 millions.En ce qui concerne la diaspora: 800.000 en Allemagne, 100.000 en Suède, 90.000 en Grande-Bretagne, 130.000 en France majoritairement de Turquie. Impossible aussi de chiffrer les Kurdes d’ex-URSS. En Israël, ils seraient 130 000.)


