NOUVELLES POLITIQUES DE CONTRE-PROLIFERATION – Daniel Durand (IDRP)

NOUVELLES POLITIQUES DE CONTRE-PROLIFERATION

Daniel Durand – Institut de documentation et de recherche sur la paix (IDRP)

On m’a demandé de traiter de certaines conditions nouvelles de la lutte contre la prolifération aujourd’hui dans le prolongement de l’intervention de Bruno Barrillot.

Contre-prolifération, non-prolifération : cela mérite quelques éclaircissements.

Pour commencer, quelques rappels de définition. Prolifération = dissémination des armes de destruction massive (ADM nucléaire mais aussi chimique, biologique, bactériologique). La Prolifération peut être Horizontale. Horizontale : c’est plus d’états qui acquièrent des ADM (Armes de destruction massive). Elle est donc quantitative.

La prolifération peut être verticale. Là, elle peut être Quantitative (plus d’armes chez les mêmes : guerre froide et stocks des deux grands qui augmentent, c’est le surarmement). La réponse a été la limitation de ces stocks : les traités SALT, voire leur diminution : les traités START. Elle peut être verticale et qualitative : (arsenal plus sophistiqué chez les mêmes : la situation d’aujourd’hui) avec Ies recherches en laboratoire, la simulation, les recherches sur de nouvelles armes).

Dernière définition : lorsqu’on parle de la lutte contre les ADM, il y a deux notions.

La notion de prolifération et de non-prolifération est très différente de celle d’élimination ou d’interdiction qui est liée au désarmement alors que la non-prolifération est essentiellement liée au contrôle des armements. Aujourd’hui, avec un monde plus éclaté, on parle plus de danger de prolifération et d’action pour la non-prolifération que d’action pour le désarmement et l’élimination.

Deux caractérisations qui auront leur importance tout à l’heure :

– L’élimination implique le désarmement, la diplomatie, le multilatéralisme

– La non-prolifération implique, elle, plutôt le statu quo, la diplomatie, le multilatéralisme

La non-prolifération est une politique multilatérale (TNP), une notion défensive et diplomatique.

A La situation actuelle et son évolution

Nous sommes sous le régime du Traité de non-prolifération. Le TNP, c’est la non-prolifération (statu quo) plus l’élimination (article VI)

Après la guerre froide, on a vu une grande « Tentation » : celle des puissances nucléaires (d’abord des Etats-unis) de garder la lutte pour la non-prolifération car la prolifération c’est dangereux, mais d’éviter l’élimination qui remet en cause la domination politique. L’argument est simple : la diplomatie ne suffit pas car elle est inefficace et lente, mieux vaut compter sur la force militaire, la sienne, pour détruire la menace éventuelle « émergente » de l’autre et ce par tous les moyens y compris nucléaire. L’idée apparaît aux USA, dès 1993 elle est lancée car Lee Aspin, S.E a la Défense de Clinton dans son « Initiative de défense contre la prolifération » qui prévoit I’usage de I’arme nucléaire en cas de menace chimique ou biologique.

La situation évolue considérablement avec l’arrivée au premier plan de la lutte anti-terroriste après le 11 septembre 2001.

Le danger prioritaire s’étend des états aux structures non-étatiques (réseaux terroristes) la menace est imprécise, il faut adopter un nouveau principe : le principe de précaution !

Georges W. Bush va développer ces idées après le 11 septembre. Le texte de fond de cette nouvelle démarche est constitué par la NSS : National Security Strategy – Stratégie de Sécurité Nationale du 20/09/2002.

Celle-ci affirme : « l’Amérique doit agir contre de telles menaces avant qu’elles ne soient complètement formées ».

La justification, c’est le « droit de légitime défense » contre une « attaque imminente ».

La précision fondamentale est celle-ci : « nous n’hésiterons pas à agir seuls, si nécessaire, pour exercer notre droit de légitime défense en agissant pré-emptivement ».

B Que signifie aujourd’hui la contre-prolifération :

C’est donc l’unilatéralisme et non le multilatéralisme –> les Etats-Unis agissent seuls. C’est la doctrine d’attaque pré-emptive : la pré-emption (pas la prévention) –> attaquer avant au cas où… (Irak)

C’est la force militaire –> y compris nucléaire

Cette idée a été formalisée dès la NPR (Nuclear Policy revue), la « Revue de Politique Nationale », sorte de loi de programmation publiée le 31/12/2001.

Il faut bien lire les deux textes que j’ai cités ensemble : la NPR avait donné les moyens militaires, matériels, pour les buts stratégiques que dévoile la NSS.

La NPR propose de nouvelles « options » pour les armes nucléaires, incluant « des modifications possibles aux armes existantes pour fournir un niveau supplémentaire de flexibilité dans notre arsenal ; permettre â des têtes â pénétration durcie de contrer l’usage croissant par des adversaires potentiels d’usines enterrées et protégées ; et des têtes qui réduisent les dommages collatéraux ». (selon Theresa Hitchens, VP du CDI).

Comment déclinent ces décisions militaires américaines pour développer la contre- prolifération? Les principales sont :

1- L’affirmation de la continuité ou flexibilité stratégique « conventionnel – nucléaire » : pour répondre aux menaces d’ADM nucléaire, chimique ou biologique. Le Président Bush a déclaré le 11/12/2002 : ”les agences civiles et militaires des Etats-unis doivent posséder la gamme complète des possibilités opérationnelles pour parer la menace et l’utilisation d’armes de destruction massive” (discours pour présenter la « Stratégie nationale de lutte contre les armes de destruction massive » (National Strategy to compact Weapons of mass destruction),

2- Le développement d’armes nucléaires durcies anti-bunker : le lancement d’une étude en juin 2002 sur de nouvelles ogives nucléaires anti-bunker plus performantes que les précédentes (les B61-1 1), désormais appelées Robust Nuclear Earth Penetrator, RNEP

3- La suspension du moratoire sur les recherches sur de nouvelles armes nucléaires (rechercher en laboratoire, crédits pour être en état de reprendre plus vite les tests)

4- La relance de la production de plutonium pour se préparer au maintien indéfini de l’arsenal nucléaire avec la mise en chantier d’une nouvelle usine de plutonium militaire

C Les conséquences internationales de la contre-prolifération :

J’en évoquerai deux seulement : le risque de conséquences graves sur les Traités et sur la politique de la France et de l’Europe.

Sur les traités : la reprise des essais nucléaires + simulation en laboratoire pour de nouvelles armes = c’est la mort définitive du TICE (Traité d’interdiction des essais nucléaires) qui est déjà presque mort-né.

L’éventualité d’utilisation éventuelle des armes nucléaires, c’est la relance de la prolifération et fin du TNP. Or Colin Powell lui-même, a reconnu en juillet 2002 devant la Commission des Affaires étrangères du Sénat, que le TNP était « la pièce centrale du régime global de non-prolifération »

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L’utilisation éventuelle des armes nucléaires, c’est le retour de l’idée du début des années 1950 de la guerre nucléaire « gagnable », idée remplacée plus tard par la MAD (destruction mutuelle assurée). Les puissances menacées chercheront à se protéger : Corée, Iran, Syrie, mais aussi Brésil, etc..

L’utilisation éventuelle des armes nucléaires contre la menace d’armes chimiques = c’est la valorisation du statut de puissance chimique = c’est la fin de la CIAC (Convention d’interdiction des armes chimiques), signée en 1993. On redonne envie à des puissances menacées d’acquérir des armes chimiques pour se protéger, sans compter les terroristes.

La deuxième des conséquences du développement des théories de contre-prolifération peut se en France et en Europe.

La France reste attachée dans les discours à la dissuasion et la stricte suffisance mais les tentations sont fortes d’imiter les Américains. Quelques exemples :

Dans un rapport parlementaire de I’A.N de décembre 2001 consacré au danger des missiles balistiques, le député Lellouch déclarait qu’il fallait « cesser d’examiner ces questions (de prolifération) au travers de la dissuasion pure ». Plusieurs pages du rapport visent à démolir le concept de dissuasion inadapté face aux nouvelles menaces.

Dans la revue Défense Nationale, mai 2002 le vice-amiral d’escadre Yves Naquet-Radiguet, propose de faire évoluer les conditions d’emploi des armes nucléaires en écrivant : « puisque nos intérêts vitaux ne sont pas menacés, c’est bien l’arme utilisée qui conduirait à la possibilité ou non d’une riposte nucléaire ».

Dans un séminaire de I’IHEDN relaté par la revue Défense Nationale début 2003, un comité a réfléchi sur de nouveaux concepts en introduisant une notion à mi-chemin selon eux de la prévention et de la dissuasion, celle de la « pressuasion ». Pour eux, la dissuasion nucléaire actuelle répond toujours aux menaces militaires traditionnelles mais ne répond que partiellement aux menaces émergences de type asymétrique. Il faut donc plus de continuité entre arme conventionnelle et nucléaire.

Concernant l’Europe, je laisse à mon successeur le soin d’en parler mais là, encore, il faut savoir, que des cercles d’études militaires réfléchissent depuis plusieurs années à la manière de contourner le TNP pour donner un statut nucléaire inséparable selon eux de la puissance politique à la future Défense européenne.

D En résumé,

La contre-prolifération, par rapport à la non-prolifération et à l’élimination, c’est une

politique unilatérale et non plus multilatérale, militaire et non pas diplomatique, offensive et non pas défensive.

C’est la préparation d’un monde dangereux car basé uniquement sur le doute, sans attendre la vérification, de peur qu’il ne soit trop tard.

C’est un monde de banalisation de la guerre où toutes les armes se valent et donc il n’y a plus d’anormalité pour les armes nucléaires et donc pour leur usage…

Comment freiner ces tendances lourdes ? A mon avis, la réflexion doit se développer pendant ces JDN sur deux axes :

Faire repasser l’élimination avant la non-prolifération :

Comment remettre en avant la validité, l’urgence de l’élimination des ADM et donc d’abord des armes nucléaires : c’est notre sujet principal, j’espère avoir apporté de nouvelles raisons :

Redonner son sens à la politique de non-prolifération : un sens dynamique et non de statu quo. La non-prolifération n’a de sens que si elle facilite l’élimination, le désarmement en lui fournissant un cadre : c’est pourquoi la place des Nations-unies et celle des dispositifs multilatéraux (notamment les Traités, les dispositifs de vérification) me semblent essentielles face à ces nouvelles politiques.

 

 

 

 

 

 

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